Les scientifiques cherchent des explications à l’épidémie d’obésité qui frappe le monde : société d’abondance (dans les pays atteints, en tout cas), sédentarité accrue, malbouffe, consommation excessive de sucres rapides et de fructose… ou abus des antibiotiques ?
J’ai été frappé par une séquence de trois articles publiés respectivement en 2009, 2011 et 2013 ayant tous trait aux microorganismes intestinaux dits méthanogènes, c’est-à-dire producteurs de gaz méthane. Il s’agit de microorganismes très particuliers car ils diffèrent de toutes les bactéries classiques, même si tous ensemble partagent des propriétés fondamentales : il s’agit dans tous les cas d’organismes unicellulaires dépourvus de noyau.
Ces méthanogènes intestinaux appartiennent à ce que l’on appelle le règne des archées par opposition aux bactéries (dans le sens véritable du terme). Ensemble, archées et bactéries constituent ce que l’on appelle les procaryotes. Ceux-ci se distinguent fondamentalement des eucaryotes, soit tous les organismes unicellulaires ou pluricellulaires caractérisés par la présence d’un noyau dans chaque cellule. Les eucaryotes regroupent donc les humains, les animaux, les plantes et les champignons (organismes pluricellulaires), plus les protistes (organismes unicellulaires possédant un noyau, à la différence des archées et bactéries).
Donc, les archées méthanogènes ont récemment retenu l’attention des scientifiques, surtout l’espèce Methanobrevibacter smithii. Sa haute prévalence dans l’intestin humain a été reconnue en 2009. On trouvera la référence scientifique correspondante grâce à la diapositive # 47 de la conférence « GI Ecology 1 – Microflora (part 2) » sur mon site internet www.gmouton.com (voir rubrique « Conferences » puis « Intestinal Ecosystem »).
Deux ans plus tard, c’est l’Unité de Recherche sur les Maladies Infectieuses et Tropicales Emergentes de l’Université de la Méditerranée à Marseille qui a fait savoir au monde médical que les archées méthanogènes sont hautement résistantes aux antibiotiques. Les détails de cette publication trop méconnue (datant déjà de 2011) apparaissent sur la diapositive # 48 présentée dans la même conférence. Il en résulte probablement une sélection progressive des microorganismes méthanogènes abondants dans l’intestin humain et résistants aux antibiotiques courants, ce qui implique leur prolifération croissante…
Le troisième article a été publié le 26 mars 2013 dans une grande revue médicale d’endocrinologie par le prestigieux Cedars-Sinai Medical Center à Los Angeles. Vous en lirez les conclusions dans la diapositive # 49, à la suite des deux diapositives déjà citées. En résumé, ces auteurs ont objectivé un puissant lien entre la présence de l’archée Methanobrevibacter smithii dans l’intestin humain et un indice de masse corporelle (IMC ou BMI) élevé ainsi qu’un pourcentage accru de graisse corporelle, car ce méthanogène améliore l’extraction des nutriments de notre alimentation et contribue à la prise de poids.
Finalement, ces découvertes successives concernant Methanobrevibacter smithii, cette « bactérie » qui n’en est pas vraiment une, ne font que mettre en évidence chez l’humain ce que l’on a compris depuis longtemps chez les animaux d’élevage : l’antibiothérapie favorise la prise de poids ! Cette propriété a été largement mise à profit, c’est le cas de le dire, pour amplifier les gains des éleveurs de bétail, à un point tel que ces pratiques sont aujourd’hui interdites dans de nombreux pays.
Cependant, personne jusqu’à présent ne s’est vraiment préoccupé du sort des humains. On continue à prescrire des antibiotiques à tour de bras, pour tout et pour rien, au lieu de les réserver aux infections sérieuses où ils jouent un rôle crucial. A coup d’antibiotiques, nous jouons aux apprentis sorciers en sélectionnant une microflore intestinale aberrante qui augmente dramatiquement notre capacité d’extraire les calories de notre alimentation. Nous sommes bel et bien en train de changer le cours de l’évolution de l’espèce humaine…