La supplémentation en iode constitue elle aussi une fameuse pomme de discorde : bien des patients « ont lu des choses à ce sujet » ou se font tancer verbalement parce que je leur ai recommandé de prendre de l’iode. Il faut savoir qu’effectivement, trop d’iode favorise la thyroïdite auto-immune (pathologie due aux anticorps dirigés contre sa propre thyroïde).
Toutefois, trop peu d’iode – surtout lorsque son déficit se combine avec un manque de sélénium – entraîne pour sa part un risque accru de stress oxydant au niveau des thyrocytes (cellules spécialisées sécrétant les hormones thyroïdiennes T4 & T3). L’eau oxygénée (H202) normalement produite par ces cellules n’est alors pas consommée pour fabriquer les hormones, faute d’iode (qui entre dans la composition même des hormones thyroïdiennes).
Il peut en résulter un empoisonnement du thyrocyte par le peroxyde d’hydrogène, un agent certes naturel, mais très agressif à ne surtout pas accumuler dans une cellule et à bien tenir en respect grâce à l’enzyme antioxydant appelé SOD. Cet enzyme superoxyde dismutase ne fonctionne qu’avec le concours indispensable du sélénium, d’où le cocktail explosif constitué par un double déficit en iode et sélénium. Je suis désolé pour ce flot de détails techniques, mais il faut vraiment vous convaincre de la nécessité de l’iode pour la thyroïde.
Alors pourquoi tant d’acrimonie de la part du corps médical contre cet iode pourtant indispensable ?
Il est exact que, comme pour les autres nutriments déjà envisagés, son taux obéit à la même courbe en U, c’est-à-dire que les risques de dysfonctionnement thyroïdien augmentent tant en cas de déficit qu’en cas d’excès. Mais voici l’explication toute simple : « on » vous déconseille l’iode pour précisément éviter de tomber dans son excès et ses dommages collatéraux, alors qu’on devrait vous proposer le dosage de l’iode pour y voir clair et le prescrire à tous ceux qui en ont besoin. La frilosité quant au dosage de l’iode trouve son origine dans le fait que sa très faible concentration dans le corps humain rend le dosage sanguin aléatoire. Il faut idéalement le mesurer dans les urines de 24 heures, ce qui implique des efforts et du temps pour expliquer aux patients comment bien les récolter !
Vous trouverez toutes les bases scientifiques relatives à ce qui précède dans la conférence sur la glande thyroïde, sur mon site internet www.gmouton.com (Conferences / Functional Hormonology / Thyroid). On trouvera aussi sur le même site toutes les informations pour la récolte correcte des urines de 24 heures qui donne effectivement lieu à pas mal d’erreurs.
Abordons maintenant l’épineuse question de la vitamine E dont on dit aujourd’hui pis que pendre après l’avoir tant adulée. Je ne réfute pas les conclusions des méta-analyses (études de nombreuses publications ayant trait à un thème donné) qui révèlent un effet pour le moins douteux de la supplémentation en vitamine E. Je dirai même que leurs conclusions négatives ne m’étonnent guère : les chercheurs ont malheureusement utilisé, dans la majorité des cas, une vitamine E synthétique. Celle-ci rassemble 8 isomères différents de l’alpha-tocophérol, c’est-à-dire des molécules partageant la même formule chimique mais de conformation spatiale différente (comme substituer un gant gauche par un gant droit). Un seul de ces isomères constitue la forme naturelle qu’il faut utiliser systématiquement. Qui plus est, la forme physiologiquement dominante de la vitamine E est le gamma-tocophérol : pourquoi s’acharner à recourir à l’alpha-tocophérol dont la supplémentation entraîne évidemment une raréfaction relative de la forme gamma requise par l’organisme ?
Enfin et surtout, d’où vient ce principe saugrenu de supplémenter la vitamine E à une cohorte de patients dont un grand nombre n’est pas du tout déficient en vitamine E ? On risque alors de leur faire plus de tort que de bien, en effet ! Il vaudrait mieux doser avant.