Source : univadis.fr – Serge Cannasse – 9 mars 2022
La prévalence du TDAH (trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité) est très difficile à évaluer, reposant essentiellement sur des critères cliniques. En France, elle a été estimée entre 3,5 et 5,6% en 2008 par une étude à la méthodologie contestable. Le traitement de ce trouble repose d’abord sur une prise en charge éducative, sociale et psychothérapeutique. D’après les recommandations, seul son échec justifie le recours au seul médicament autorisé en France dans cette indication, le méthylphénidate (MPH). Son efficacité est avérée à court terme, mais à long terme, la molécule n’a démontré aucun effet sur les risques d’échec scolaire, de délinquance et de toxicomanie associés au TDAH. En revanche, ses effets indésirables sont bien documentés et nombreux : nervosité, troubles du sommeil, céphalées, amaigrissement, risque d’aggravation de pathologies psychiatriques et de passages à l’acte violents ou suicidaires, de maladies cardiovasculaires et cérébrovasculaires. Par ailleurs, le MPH est classé parmi les stupéfiants.
Des conditions de prescription inquiétantes
Un travail paru dans Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence s’est intéressé aux modalités effectives de prescription de ce médicament en France, en examinant les données de la Sécurité sociale portant sur 144.509 patients de 0 à 17 ans ayant reçu au moins une prescription entre 2010 et 2019. Ses résultats sont particulièrement inquiétants. Pendant cette période :
- Les nouvelles prescriptions de MPH a augmenté de 56% par an et le nombre total de prescriptions annuelles de 116%. Chez les 3–17 ans, cette prévalence a été estimée en 2019 entre 0,61% et 0,75% de la population pédiatrique. Cette consommation concerne essentiellement les garçons (82,5% à 80,8% au fil de la période).
- En 2011, la durée médiane de consommation chez les enfants de 6 ans et plus était de 5,5 ans. Elle allait jusqu’à plus de 8 ans chez 25% d’entre eux.
- Contrairement à l’AMM, certaines prescriptions ont été effectuées chez des enfants de moins de 6 ans.
- 25% des premières prescriptions et 50% des renouvellements annuels n’étaient pas effectués par un spécialiste hospitalier, contrairement aux obligations réglementaires en vigueur jusqu’au 13 septembre 2021. À cette date, la HAS (Haute Autorité de santé) a en effet décidé de la fin de la prescription initiale hospitalière pour le MPH.
- 84% des enfants ne bénéficiaient d’aucune consultation médicale par le service hospitalier prescripteur dans les 13 mois suivant l’initiation. Alors que la prévalence du TDAH a plus que doublé, le nombre de consultations en centres médico-psychopédagogiques (CMPP) a été divisé par quatre (de 4,1% à 0,8%).
- La prescription de MPH n’est pas toujours associée au diagnostic de TDAH, alors qu’il s’agit de sa seule indication.
- 22,8% des enfants et adolescents consommateurs de MPH reçoivent un ou plusieurs autres médicaments psychotropes dans l’année suivant la première prescription : neuroleptiques (64,5%), anxiolytiques (35,5%), antidépresseurs (16,2%), antiépileptiques (11%), hypnotiques (4,8%) et antiparkinsoniens (3 %). « Ces co-prescriptions sont souvent très éloignées de leur zone d’AMM et se situent hors des recommandations de la HAS. »
- Les enfants les plus jeunes de leur classe (nés en décembre plutôt qu’en janvier) ont un risque accru de médication de +54% en moyenne au fil de la période 2010- 2019).
- En 2019, 21,7% des enfants recevant du MPH vivaient dans des familles bénéficiant de la Couverture maladie universelle (CMU) ou d’un dispositif apparenté, alors que, selon l’Insee, ces aides n’étaient attribuées qu’à 7,8% de la population française.
Une minorité de praticiens concernés
Les auteurs de ce travail constatent que « la distribution de la consommation suggère un rôle prépondérant d’une minorité de praticiens et de services hospitaliers dans la prescription de méthylphénidate. » Enfin ils notent que « dans les pays européens et en Amérique du Nord, le taux de prescription de psychotropes pour le TDAH s’est stabilisé ou montre une nette tendance à la stabilisation depuis 2008. En France, au contraire, ce taux est en croissance continue, si bien qu’en 2019, il a atteint un niveau supérieur à d’autres pays européens comme la Grande Bretagne. » Les raisons en sont discutées.