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[L3] Obésité : causes multiples et pistes génomiques

Par Alain ANDREU — en collaboration avec le Dr Résimont.

L’obésité, définie aujourd’hui dans le milieu médical par un indice de masse corporelle supérieur à 30, n’affectait qu’environ 3% des adultes étasuniens en 1890. Le diabète ( de type 2) n’affectait que 2 à 3 individus sur 100 000, et l’hypertension moins de 5% des étasuniens de moins de 65 ans.

Aujourd’hui, entre 30 et 40% de la population US est obèse.

En Polynésie, la prévalence du surpoids est de 70%, celle de l’obésité à plus de 40%. On estime à plus de 600 le nombre de patients en dialyse (+7% par an environ), un traitement dont le coût est estimé à 1M de XPF par mois. 

Aux îles Samoa, le diabète touche entre 40 à 50 pourcent de la population, l’hypertension un tiers des adultes et les maladies cardiovasculaires sont la cause première de mortalité (la première cause étant le cancer dans les pays occidentaux)1. Le phénomène étant mondial, on peut bien parler de pandémie, même s’il s’agit de maladie « non transmissible ». Bien moins médiatisée qu’une autre pandémie (virale) plus récente, ses conséquences sur la santé n’en sont pas moins graves, d’autant qu’elles potentialisent  les risques infectieux chez les personnes qui en sont atteintes.

En Polynésie, même les enfants sont touchés, et tous les indicateurs de santé sont dans le rouge, nécessitant une action urgente et courageuse de la part des autorités de santé, notamment en réglementant les boissons sucrées.

Une première enquête O.M.S. STEPwise diligentée en 2010 concluait déjà que 45% des polynésiens avait un risque majoré de maladie non transmissible. Cependant , les mesures de glycémie et de cholestérolémie n’avaient pas pu être analysées pour des raisons techniques2. Une nouvelle étude STEPwise a été lancée en 2019, puis interrompue en mars 2020 par l’épidémie de COVID, après cependant plus de 3000 enquêtes réalisées sur le terrain ainsi que des analyses de laboratoire effectuées. Hélas, ses résultats n’ont, à notre connaissance, toujours pas été publiés par la Direction de la Santé. Le moins que l’on puisse dire est que la problématique des maladies non transmissibles ne semble pas susciter beaucoup d’intérêt de la part des autorités et que la politique qui prévaut consiste à investir toujours plus dans une médecine qui soigne plutôt que dans celle qui guérit (médecine conventionnelle versus médecine fonctionnelle).

Le syndrome métabolique ou “syndrome X“ (extrait du Régime Anti-âge , Inversez l’horloge biologique !)

Le syndrome métabolique ou syndrome X se définit par une baisse progressive de la sensibilité à l’insuline, une augmentation du ratio tour de hanche / tour de poitrine, une dégradation des paramètres du bilan lipidique, accompagnée parfois d’hypertension. Ces signes, que l’on pourrait associer à un caractère jovial et bon vivant chez celui qui en est atteint, cachent une réalité beaucoup plus sombre. En effet, le risque cardiovasculaire et le risque d’A.V.C s’en trouve augmenté. Plus exactement, le risque cardiovasculaire est multiplié par trois.

Chez l’homme, c’est la bedaine qui avance, favorisée par une lente et inexorable baisse des taux d’hormones sexuelles. En plus du tissu adipeux, il n’est pas rare de voir une gynécomastie, liée à l’augmentation du taux d’oestrogènes.

Perte musculaire due à l’obésité. Pourquoi ?

Debled G. – Au-delà de cette limite votre ticket est encore valable, Albin Michel – Paris, 1992

Corps masculin vieillissant

20 ans       25 ans       30 ans      40 ans      45 ans       55 ans  

Plus prosaïquement, c’est ce que j’appelle le syndrome du héron, car il s’accompagne souvent d’une fonte musculaire visible au niveau des cuisses.

Chez la femme ménopausée, le risque cardiovasculaire, jusque-là inférieur à celui de l’homme avant la ménopause, rejoint celui-ci, notamment par la baisse en oestrogènes.

Il n’est pas rare d’ailleurs, de voir chez l’homme de plus de 45 ans, pour peu qu’il soit grassouillet, un taux d’oestrogènes parfois plus élevé que chez la femme ménopausée.3 

STOCKAGE DE GRAISSE ET RESISTANCE A L’INSULINE :  UNE QUESTION DE SURVIE

On oublie trop souvent de rappeler que derrière ce stockage de graisse se cache un processus naturel de survie. Les animaux qui hibernent comme le grizzli ralentissent leur métabolisme et entrent en insulinorésistance afin de préserver leur cerveau (seul organe ne pouvant se passer de glucose, le cerveau puise près de 1/6e des calories ingérées par l’organisme pour son seul fonctionnement). Dans la nature, les animaux qui survivent en cas de pénurie de nourriture et d’eau sont ceux qui sont parvenus à stocker lez maximum de gras. Ce processus naturel  de mise en résistance à l’insuline (diabète) est à rapprocher de l’augmentation de l’hormone reverse T3 (lire les lettre thyroïde 1 et 2 de décembre et janvier) en cas de stress métabolique, qui ralentit l’activité thyroïdienne. Il explique pourquoi les régimes hypocaloriques ne marchent pas, et pourquoi compter les calories ne sert à rien sur le long terme. 

La graisse…une source d’eau métabolique

Dans les régions désertiques du globe où l’eau manque souvent, le chameau et le kangourou stockent de la graisse afin de s’assurer une source d’eau métabolique. Afin de limiter l’impact de ces graisses sur la chaleur corporelle, celles-ci sont stockées sur le dos du chameau et dans la queue du kangourou. Les mammifères marins gardent leur graisse sur l’ensemble du corps afin d’assurer leur survie dans les eaux froides mais puisent eux aussi une bonne partie de leur eau dans cette réserve de graisse et dans leur alimentation1,4.

Pas de fertilité sans gras

En dessous de 15% de taux de graisse, les cycles menstruels sont perturbés voire disparaissent, altérant inévitablement la fertilité, comme observé chez les danseuses de ballet5.

DES CAUSES MULTIPLES QUI SE POTENTIALISENT

  1. Le gras, un faux coupable idéal…

Le gras et en particulier les graisses saturées ont été identifiées dans les années 1960-70 par des scientifiques comme responsables du « mauvais » cholestérol dans le sang. Il s’en est suivi une diabolisation des graisses pendant plusieurs décennies, suite à quelques médiocres études et des décisions politiques hâtives qui ont fait le bonheur de l’industrie du sucre. On a ainsi conseillé les régimes « fat free » et riches en céréales à partir de 1977 au U.S.A. Vous pouvez voir dans le graphe précédent à quelle époque le « décrochage » a eu lieu en matière d’obésité. De la même façon, le sel de table (NaCl) a été accusé comme responsable de l’hypertension (même si les preuves scientifiques manquent et que la controverse fait rage), laissant là aussi le champ libre à la consommation accrue d’un autre cristal blanc…le sucre et, accessoirement, limitant les apports en iode, le sel étant un des vecteurs utilisés pour faciliter les apports en iode 6,7.

Ci-dessus 2 couvertures de Time sur le sel et le cholestérol (années 70)

  1. Féculents et sucres, dont les dégâts sur la santé remontent pourtant à…15000 ans ! 

A une époque précédant la nôtre (Pleistocène),  des chasseurs cueilleurs sédentarisés vivant au Maroc, se nourrissaient de plantes  riches en féculents, rompant avec l’alimentation « high fat low carb » de leurs ancêtres chasseurs cueilleurs pêcheurs. Leurs ossements, retrouvés dans la grotte des Pigeons à Taforalt, montrent un taux de caries de 51.2% chez les adultes, comparable aux populations industrialisées. Ce changement d’alimentation a fortement affecté la santé buccodentaire de ces populations8

Enfin, d’autres études montrent une perte de taille d’environ 10 cm  dans les deux sexes  entre la période Mésolithique et Néolithique, suite à la sédentarisation et l’avènement de l’agriculture9.

Aujourd’hui, on sait que la consommation de sucre atteint des sommets et se trouve responsable de l’épidémie mondiale d’obésité, de diabète, ainsi que leurs complications. Malheureusement, on retrouve encore trop souvent les féculents dans les recommandations diététiques, alors que ceux-ci ne devraient être conseillés que dans le cadre d’une activité  physique régulière. Ce qui est moins connu est que nous ne sommes pas tous égaux génétiquement face au sucre, et que les Polynésiens présentent très probablement un désavantage génétique (à explorer) sur le plan de la métabolisation du sucre. Nous verrons plus loin comment la médecine fonctionnelle ajuste au cas par cas ses recommandations nutritionnelles.

Le sucre, une drogue légale, pro inflammatoire, acidifiante et cancérigène

La consommation de sucre en France est de 100 gr par jour, alors que les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé sont de 25 gr par jour maximum. Elle entraîne une dépendance en activant la sécrétion de dopamine et de sérotonine, et se trouve activée également chez les patients déficients en cortisol. L’arrivée du sirop de glucose fructose (HFCS), produit par l’industrie pour écouler les excédents de maïs, n’a fait qu’aggraver le problème, faisant apparaître de nouvelles maladies comme le N.A.S.H., ou stéatose non alcoolique, appelé parfois de façon erronée la maladie du « foie gras » ou maladie du « soda ». Dans ces conditions, l’organisme n’a pas d’autre choix que de stocker cet excès de calories vides sous forme de graisses, a l’aide de l’insuline. L’insuline va alors augmenter l’activité d’une enzyme, la lipoproteine lipase (LPL) et inhiber au contraire l’activité de celle qui libère les graisses de réserve, l’hormone sensitive lipase (HSL). Le résultat est que plus vous allez produire de l’insuline, plus vous allez prendre du gras.

Au fil des ans, l’insuline secrétée trop massivement par le pancréas va saturer les récepteurs cellulaires : c’est le début de la résistance a l’insuline, qui aboutit au diabète de type 2. Il existe des tests de laboratoire, hélas encore trop peu prescrits en médecine courante, mais bien connus en médecine fonctionnelle, comme le test de HOMA ou le test QUICKI qui permettent d’évaluer cette insulinorésistance et donc de prédire la survenue du diabète de type 2, anciennement appelé diabète gras ou de la personne âgée (actuellement, des adolescents, des enfants en souffrent car ils sont gavés de glucides, céréales, et sédentarises par les jeux électroniques)10.

Glucose versus fructose : 1 calorie ≠ 1 calorie, le rôle caché de l’acide urique

Le glucose comme le fructose permettent la production immédiate d’énergie disponible sous forme d’ATP ou stockée sous forme de glycogène et de gras. Cependant, le fructose utilise également une autre voie, non calorique, via la synthèse d’acide urique, qui induit le syndrome métabolique et l’obésité. Cela a été démontré dans une étude chez l’animal (Takahiko Nakagawa) avec deux groupes dont l’un a été traité à l’allopurinol (qui bloque la production d’acide urique). Bien que recevant la même quantité de fructose, le groupe non traité développa une résistance à l’insuline, gain de poids, élévation des triglycérides, hypertension et de hauts niveaux d’acide urique, alors que le groupe traité à l’allopurinol bloqua non seulement la production d’acide urique comme attendu mais aussi le développement de l’hypertension et, partiellement, l’insulinorésistance et la hausse des triglycérides. Cette voie de l’acide urique est utilisée par les animaux qui se gavent de fruits et de miel, sources naturelles de fructose, avant l’hiver, pour développer un syndrome métabolique transitoire. Pour résumer, lorsque nous consommons du fructose, de l’acide urique est généré et exerce un stress oxydatif sur les mitochondries. Ce stress oxydatif réduit la production d’ATP et induit la production de gras. Selon Richard J. Johnson, la perte chez l’homme de la capacité à produire de la vitamine C  (à la différence de nos ancêtres primates) proviendrait d’une sélection naturelle permettant de faciliter ce stockage de graisse dans un environnement où la nourriture n’était pas toujours disponible1. En effet, les études et meta- analyses ne manquent pas qui démontrent que le taux de vitamine C circulante est inversement associé au syndrome métabolique 11,12. Ces résultats amènent à penser qu’une partie des problèmes d’obésité rencontrés dans la région du Pacifique sud pourrait provenir, selon certains auteurs, d’une sélection génétique des voyageurs polynésiens à produire plus facilement de l’acide urique afin de résister aux conditions difficiles de restriction calorique induites par les voyages inter-îles 13–15.

Compte tenu de l’incidence des problèmes de goutte et d’obésité rencontrés dans la région, il est urgent de réglementer la teneur en sirop de glucose fructose notamment dans les boissons16.

HBA1c : le marqueur impitoyable de la glycation

L’hémoglobine glyquée ou HBA1c est un bon marqueur du phénomène de glycation qui affecte notre corps suite à l’absorption de sucre. En médecine conventionnelle les valeurs normales se situent entre 4 et 6% chez le non diabétique. La médecine fonctionnelle établit ses propres normes santé, plus strictes que les normes statistiques des laboratoires. Ainsi, les normes « santé » en HbA1c sont de 5% + la décennie d’âge en décimale, avec un maximum à 5.8%. Cela signifie, pour un patient de 50 ans, une valeur maximale à 5.5%, pour un patient de 60 ans, 5.6 %, etc…En Polynésie, où la prévalence du diabète est très grande, il arrive parfois de trouver des taux proches de 20% !

  1. La pauvreté, un facteur aggravant

Une relation entre la pauvreté et l’obésité a été observée dans tous les pays développés et en voie de développement17. A Tahiti, où l’on estime que près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, avec un niveau d’éducation très variable, l’accès à une alimentation de qualité est encore plus difficile. Paradoxalement, les plats industriels riches en calories vides et sans apport nutritionnels sont trop faciles d’accès. De ce côté-là encore, la réponse doit venir des politiques. Le principe des PPN (Produits de Première Nécessité), bien que partant d’une bonne idée, induit la consommation d’aliments fortement diabétogènes, à commencer par la baguette de pain blanc dont l’index glycémique est supérieur au sucre blanc (IG 95 versus 68 pour le sucre blanc), le riz de basse qualité, les sodas, au détriment des légumes et des produits frais en général.

  1. Des aliments transformés vides de « Jing »

Le Jing, « énergie vitale ou impulsion de vie » est un concept important en diététique chinoise.  Ce Jing Qi sera d’autant plus fort dans l’aliment que son impulsion de vie sera grande. 

Un exemple d’impulsion de vie : quand nous arrachons une carotte de terre, son impulsion de vie devrait être assez forte pour qu’elle puisse repousser si nous la replantons quelques jours plus tard. Mais plus le temps va passer, plus son Jing inné va s’épuiser car elle n’est plus alimentée. Pour les céréales, les graines saines devraient pouvoir toutes germer. Autant de paramètres qui mesurent l’impulsion de vie de nos aliments. Les aliments modernes transformés et cuisinés sont pauvres en JING, on peut parler dans ce cas de « calories vides » pour faire un lien entre les conceptions chinoise et occidentale18. Fraicheur et qualité nutritionnelles priment donc largement sur le concept obsolète de calories.

  1. Des portions toujours plus grandes

L’apport calorique a fortement augmenté ces dernières décennies. Selon la Food and Agricultural Organization of the United Nations, il aurait augmenté de 24% entre 1961 et 2013, passant de 2900 calories par jour à 3600). Plus que les calories, c’est la qualité des aliments qui pose souvent problème, avec des « soft drinks » toujours plus grands, bourrés de sucre et sans aucun apport nutritionnel. Cette baisse de la qualité nutritionnelle n’active pas les signaux de satiété, encourageant à manger toujours plus. On parle de résistance à la leptine (hormone de la satiété) chez les personnes en surpoids. Cette résistance à la leptine est induite par la consommation de fructose et de saccharose (qui contient du fructose)15,19 La consommation d’aliments transformés perturbe le microbiote intestinal, unanimement reconnu aujourd’hui comme le « deuxième cerveau », lequel sécrète plusieurs neurotransmetteurs et hormones, dont la ghréline (hormone de l’appétit). En ajoutant à cela le temps passé devant la télévision et internet, il n’est pas surprenant que nous ayons tous tendance à prendre du poids. 

  1. Une prévention inefficace

Peu de moyens ont été investis ces dernières années, depuis la fermeture de l’EPAP (Etablissement Public Administratif pour la Prévention) dont le produit fiscal qui assurait son fonctionnement a depuis été intégré au budget du Pays. Une enveloppe toujours plus importante est consacrée à la dotation du C.H.P.F., c’est-à-dire au service de la maladie (et du dépistage) aux dépens de la santé et de la prévention. Le résultat est connu : des services hospitaliers saturés par les maladies non transmissibles, dont les comorbidités rendent la population très vulnérable aux épidémies.

Le message en matière de nutrition est souvent issu des recommandations du P.N.N.S (Programme National Nutrition et Santé) sous l’influence inévitable des lobbies (du lait, du blé, du sucre). On continue ainsi à recommander des féculents à chaque repas même sans activité physique, des céréales, 3 produits laitiers par jour (aliments pro-inflammatoires pour l’intestin), à limiter les matières grasses, …

On nous expose toujours cette absurde pyramide alimentaire, dénuée de toute base scientifique, dans laquelle les produits cités ci-dessus sont mis en avant, avec une importance toujours minimisée sur les graisses, dont on voit surtout le beurre (PPN) et le lait de vache en bonne place, à défaut d’insister sur les oléagineux et autres acides gras omega 3 (lire la lettre du mois prochain).

  1. Une flore intestinale altérée : la piste de l’Akkermansia

Le microbiote est un organe à part entière d’environ 1.5 kg (le poids de notre cerveau) composé de bactéries, virus, levures, champignons, parasites. Il sécrète une quantité importante d’hormones et de neurotransmetteurs (près de 90% de la sérotonine) et communique en bi-directionnel avec le cerveau (surtout dans le sens intestin-cerveau). A ce titre il joue un rôle majeur dans la dépression, comme l’expliquent Maud Gabriel et Dimitri Jacques20. Les dernières études montrent toutes que la flore intestinale des gens souffrant d’obésité est différente de celle des sportifs minces et athlétiques. Cette flore, c’est vous qui pouvez la modifier en fonction de votre régime. A ce titre, je conseille entre autres la levure de bière et la choucroute crue pour leur teneur élevée en microorganismes. La prise d’une petite quantité (2 à 3 gr) de glutamine le matin prendra soin de vos entérocytes et vous aidera à conserver une bonne perméabilité intestinale, en association avec l’arrêt des aliments contenant du gluten (poison indigérable) et des produits laitiers pro-inflammatoires au niveau intestinal. Une bactérie en particulier, parmi les 800 à 1000 espèces qui composent notre microbiote intestinal, retient l’attention des chercheurs : il s’agit de l’Akkermansia Muciniphila, que l’on retrouve chez les personnes en bonne santé. Certaines études ont montré sa capacité à améliorer la santé métabolique des personnes obèses21–23. L’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ayant donné son accord, on commence à trouver des suppléments d’Akkermansia sur le marché. L’étude MATAE’A lancée par l’institut Louis Malardé (voir plus loin) prévoit une analyse de la flore intestinale auprès de la cohorte testée.

GENETIQUE ET EPIGENETIQUE : POUR LE MEILLEUR ET POUR LE PIRE

On appelle polymorphisme génétique (S.N.P. en anglais pour Single Nucleotide Polymorphism) des modifications d’une seule paire de base touchant a minima 1% de la population. Souvent sans conséquence sur la santé, ils sont présents toutes les 300 paires de bases environ dans le génome humain. Certains de ces polymorphismes ont cependant un impact sur la santé : on peut citer, parmi les plus connus, celui de la drépanocytose (qui protège contre le paludisme les populations exposées), la Beta thalassémie (anémie du bassin méditerranéen) ou l’apolipoprotéine E (ApoE), dont la mutation ApoE4 est liée à un risque augmenté d’Alzheimer, ou encore FUT2 découvert récemment (mucus intestinal). De nombreux polymorphismes restent probablement à découvrir, au fil des études de génomiques (G.W.A.S, genome wide association studies). Toutes les séquences des exomes et génomes du monde sont compilées dans la GnomAD database (Genome AD database).

APOE et DIO2 : une importance majeure en santé humaine

L’étude des trois formes des gènes ApoE 2, 3 (le plus fréquent, 80% de la population) et 4 permet d’avoir une estimation du risque de contracter la maladie d’Alzheimer avec l’âge. 

En effet, on estime que les porteurs homozygotes du gène ApoE4/E4 auront, pour 33% d’entre eux, contracté la maladie d’Alzheimer à l’âge de 75 ans, alors que les porteurs du gène ApoE2 en sont plutôt protégés. Mais nous verrons plus loin qu’il n’y a pas de fatalité sur ce point, grâce notamment à l’épigénétique et l’épinutrition mais aussi un protocole mis au point par un chercheur étasunien24. Il a d’ailleurs été observé, contre toute attente,  que le portage ApoE4 n’avait pas d’impact chez les personnes âgées vivant au Niger25 D’autre part,  ces gènes impactent également le profil lipidique et l’espérance de vie, les apolipoprotéines E étant le transporteur lipidique principal au niveau du cerveau26–28. On utilise ainsi en médecine fonctionnelle la connaissance du portage ApoE pour affiner les conseils diététiques (prouvant la nécessité d’un suivi personnalisé). Si le porteur ApoE3 (80% de la population) répondra bien au régime méditerranéen, l’heureux porteur du gène ApoE2 protégé de la maladie d’Alzheimer ne supportera cependant pas bien les hydrates de carbone (glucides), ceux-ci entrainant chez lui une  dysbiose permanente, qui sera soulagée par un régime « high fat low carb ». Quant au porteur ApoE4, il lui sera conseillé de limiter les graisses sâturées29. En résumé, plus le chiffre de l’ApoE est bas et plus la consommation de graisses doit être importante. Tout n’est cependant pas de mauvais augure chez les porteurs d’ApoE4 : il semble en effet que ce portage  réduise le risque d’hyperhomocystéinémie. Bien que jamais dosé en médecine conventionnelle, l’homocystéine est l’un des marqueurs les plus fins du risque cardiovasculaire avec le  cholestérol LDL oxydé (bien meilleur que le classique bilan lipidique réalisé en routine) et le portage ApoE4 réduirait ce risque30.

Le portage du polymorphisme DIO2, associé à des taux élevés en methyl mercure, pourrait bien, via une fonction thyroïdienne perturbée, avoir sa part de responsabilité dans l’épidémie d’obésité en Polynésie.

Déjà évoqué lors des lettres précédentes sur la thyroïde, le « variant » DIO2 ( appelé aussi Thr92Ala)  limite la capacité de l’organisme à transformer l’hormone thyroïdienne T4 (peu active) en hormone T3 (active) via l’enzyme désionidase31.  En réalité, j’ai mis le mot « variant » entre guillemets car l’analyse de l’ADN dit «archaïque » de nos ancêtres aujourd’hui disparus (Néanderthals et Denisovans) montre qu’ils étaient porteurs homozygotes à 100% de ce polymorphisme. Aujourd’hui la prévalence de ce polymorphisme se situe, selon les régions du monde, entre 12 et 36% (14% en Europe). Nous sommes tous porteurs d’ADN « archaïque » (Néanderthal en Europe, Denisova plus important en Asie et Pacifique) entre 1 et 4% du total de notre génome ( 2% de portage  en moyenne). Cependant, comme le souligne le généticien  Lluis Quitana-Murci, il existe des « territoires dénisoviens » où l’on rencontre la plus grande proportion de matériel archaïque au monde : jusqu’à 6% dans certaines populations du Pacifique32. Nos ancêtres de Néanderthal et Denisova (l’ADN de l’homme de Denisova a été découvert et séquencé en 2010) étaient des chasseurs-cueilleurs, avec une faible consommation d’hydrates de carbone (glucides) et vivaient dans des régions souvent pauvres en iode. Le besoin en hormone T3 est réduit dans de telles conditions, c’est d’ailleurs le type d’alimentation que l’on conseille en médecine fonctionnelle aux personnes porteuses de ce polymorphisme DIO2. Le portage de ce polymorphisme DIO2 est en effet associé à un risque accru de diabète de type 2, mais également à un IMC (Indice de Masse Corporelle) plus  élevé33,34. Par ailleurs le portage homozygote A/A en DIO2 semble doubler le risque de mortalité en cas de Covid 19, confirmant notamment le rôle prépondérant du taux de T3 sur l’immunité35. Enfin, une étude portant sur 73 sujets obèses et 21 sujets minces a montré une expression accrue de l’enzyme DIO2  dans les adipocytes sous cutanés et viscéraux chez les sujets obèses36. Le taux d’hormones thyroïdiennes régule le métabolisme basal et se trouve donc fortement impliqué dans les processus de lipogénèse et de lipolyse.  Avec l’avènement de  l’agriculture et l’augmentation de la consommation de glucides il y a un peu plus de 10 000 ans, le besoin en hormone T3 a en quelque sorte sélectionné la raréfaction de ce portage DIO2 initialement homozygote A/A chez les hommes de Néanderthal et Denisova, puis devenu hétérozygote A/T chez l’homo sapiens moderne, facilitant la conversion de T4 en T3. Ces données ont été compilées dans un article récent publié en 2020 par l’Italian Society of Endocrinology37.

Concernant l’exposition au méthyl mercure (voir lettres précédentes), l’activité de l’enzyme désionidase se trouve également perturbée, favorisant la transformation de la T4 en reverse T3 inactive.

A la lumière de ces données, on peut conjecturer que nombre de polynésiens traités à l’hormone T4 contre l’hypothyroïdie (Levothyrox®, Thyroxine®) tireraient un bénéfice à mieux métaboliser les glucides en intégrant  la T3 à leur traitement (Euthyral®, Thyroxine®+ Cynomel®) ou, pour les plus motivés, à suivre un régime de type paléolithique pauvre en glucides. Cette remarque concerne aussi l’immense majorité des patients  hypothyroïdiens à bilan biologique normal non traités car… non dépistés.

 Il n’y a pas à ma connaissance de données précises quant à la prévalence de ce polymorphisme DIO2 en Polynésie française. Cependant, l’étude ambitieuse MATA’EA réalisée à l’ILM en 2019-2022 comporte un volet génétique et pourrait, à l’initiative de ses auteurs, intégrer cette piste encore inexplorée. Les prélèvements sont actuellement en cours d’étude. Une analyse du microbiote est également prévue.

A.D.N. archaïque Néanderthal et COVID-19 : une cohabitation explosive

C’est le prix Nobel de médecine et physiologie 2022 décerné à Svante Pääbo, paléogénéticien suédois. Son séquençage du génome de néanderthal a montré que ceux qui portaient cet A.D.N. sur le chromosome 3 avaient un risque multiplié par 3 de développer un Covid sévère.

Mon expérience :

Les analyses génétiques en France sont possibles à la demande d’un médecin prescripteur et nécessitent au préalable une autorisation signée de la part du patient et du médecin. Cependant, le site 23and me, agréé par la F.D.A., permet, à coût réduit, après envoi d’un kit de prélèvement, l’analyse d’un nombre important de SNPs connus pour impacter la santé humaine. Ce laboratoire propose deux volets d’analyse : un volet « ancestral » pour la partie généalogique et un volet « santé ». La partie « santé » n’étant pas accessible depuis la Polynésie (législation ?) j’ai contourné le problème en faisant poster mon kit par une amie à Los Angeles. Les résultats sont arrivés après 3-4 semaines par courriel. Par chance, tous les  résultats sont négatifs pour les variants testés (y compris ApoE4, ouf !) à l’exception d’un risque légèrement augmenté pour la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge) et le diabète de type 2.

EPIGENETIQUE : LA PARTIE EMERGEE DE L’ICEBERG

L’A.D.N. n’est pas une fatalité

L’épigénétique traite des facteurs qui induisent ou inhibent l’expression des gènes sans modification de l’A.D.N. Elle explique par exemple pourquoi des jumeaux homozygotes meurent en moyenne  avec 7 ans d’intervalle et peuvent être atteints de pathologies différentes, en dépit d’un bagage génétique similaire38.

Un bouton ON/OFF selon votre mode de vie

L’expression de nos gènes peut être activée ou inhibée de manière stable mais potentiellement réversible par les processus de méthylation ou d’acétylation de l’A.D.N. Cette expression épigénétique serait également transmise d’une génération à l’autre.

Pour donner un exemple concret, la vitamine D, une préhormone, améliore à elle seule l’expression de plus de 300 gènes, selon le professeur Michael Holick. Elle en inhiberait l’expression de 82 et induirait celle de 209 gènes impliqués dans la réponse immunitaire, l’apoptose…39

Concernant la maladie d’Alzheimer, le chercheur Dale Bredesen a mis au point le protocole ReCODE en 2012 dont les premiers résultats ont été publiés en 2014 dans la revue Aging40. Des centaines de patients en ont bénéficié avec des résultats positifs (maladie stoppée voire inversée) à plus de 80 %, y compris chez les sujets porteurs du gène ApoE4. Comme souvent observé, il faut attendre plus de 10 ans pour faire accepter ce type de découverte par les sociétés savantes, mais les choses sont en train de bouger avec une étude publiée en 2022 dans la revue médicale Journal of Alzheimer’s disease41. Cette étude montre que 84% des patients ayant suivi le protocole ReCODE ont de nettes améliorations mentales, qualifiant celui-ci comme outil de médecine de précision. Le docteur Stéphane Résimont et moi-même avons passé en revue les bases de ce protocole dans notre ouvrage Pleine Santé, paru en 2021.

Comment cela a-t-il été possible, alors que l’industrie pharmaceutique a testé plus de 244 molécules entre 2000 et 2010, pour in fine en approuver une seule en 2003, la mémantine, aux résultats tout à fait modestes, quoiqu’améliorés par la prise de vitamine D42,43 ? Tout simplement en s’attaquant aux 36 causes de cette maladies identifiées par le chercheur D.Bredesen, appliquant là le principe qui fait la réussite de la médecine fonctionnelle dans la lutte contre les maladies chroniques24.

La méditation a quant à elle des bienfaits si nombreux et fait l’objet de tant d’études que certains auteurs n’hésitent pas à dire qu’elle a plus à offrir à la santé d’un américain d’aujourd’hui que tous les remèdes pharmaceutiques réunis44–48.

La médecine fonctionnelle utilise ces leviers épigénétiques en proposant notamment une nutrition adaptée aux spécificités génomiques du patient49. Cette épigénétique peut donc être, selon les cas,  un facteur améliorant mais aussi aggravant, quelles que soient les prédispositions génétiques. 

Pour conclure, il est évident qu’un environnement délétère associé à un terrain génétique particulier peut rapidement devenir un facteur aggravant en amenant tous les curseurs dans le rouge, favorisant les maladies non transmissibles.

1. Johnson, J, Richard M. Nature Wants Us to Be Fat, the Surprising Science behind Why We Gain Weight and How We Can Prevent an Reverse It.

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Alain Andreu
Alain Andreu
Alain Andreu est un auteur polynésien de formation scientifique né le 21 avril 1968. Son expérience de trente années de laboratoire à Papeete lui a permis d'étudier l'intérêt et les limites des dosages de biologie dans la pratique médicale.

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