Intestins irritables, une affection courante
Environ une personne sur dix dans le monde souffre du syndrome du côlon irritable (dit aussi syndrome de l’intestin irritable ou colopathie fonctionnelle).1,2
Selon les critères diagnostiques actuels de Rome IV, le syndrome du côlon irritable (SCI) est caractérisé par :3
- des douleurs abdominales récurrentes, en moyenne au moins 1 jour par semaine ;
- associées à au moins 2 des critères suivants : liés à la défécation ; associé à un changement de fréquence des selles ; et associée à un changement de forme (apparence) des selles.
Les critères doivent être remplis pendant les 3 derniers mois avec l’apparition des symptômes au moins 6 mois avant le diagnostic.
Des causes diverses
De nombreux facteurs peuvent contribuer au SCI :
- activation immunitaire intestinale (le système immunitaire réagit trop et de façon adverse) ;
- augmentation de la perméabilité intestinale ;
- un microbiote altéré (dysbiose) ;
- hypersensibilités alimentaires (improprement appelées « intolérances ») ;
- hypersensibilité viscérale (douleur) ;
- motilité gastro-intestinale anormale ;
- axe intestins-cerveau altéré ;
- facteurs psychosociaux.
Il est possible d’améliorer plusieurs de ces points grâce au palmitoylétanolamide (PEA), un amide d’acide gras déjà présent dans l’organisme, ce que nous verrons plus loin. Il pourrait aussi être utile dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin.
Améliorer la santé du tube digestif grâce au système endocannabinoïde
Tous les composants du système endocannabinoïde sont largement présents dans le tractus gastro-intestinal. Il existe de nombreuses preuves que ces éléments sont considérablement altérés en cas d’inflammation digestive. Par conséquent, le système endocannabinoïde peut être une cible thérapeutique potentielle pour réduire les lésions de la muqueuse gastro-intestinale, les hémorragies digestives et l’inflammation.4 Il est aussi très présent dans le système nerveux. Le cibler permet également d’agir sur l’axe intestin-cerveau.
OEA, PEA et CBD modulent la perméabilité intestinale
Les cannabinoïdes modulent la perméabilité intestinale via le récepteur cannabinoïde CB1. Les composés de type endocannabinoïde oléoyléthanolamine (OEA) et palmitoyléthanolamine (PEA) jouent un rôle important dans la régulation digestive. Des chercheurs ont voulu vérifier si ces deux composés modifiaient la perméabilité intestinale. Dans une étude in vitro, des cellules Caco-2 ont été traitées avec des cytokines inflammatoires pour induire une hyperperméabilité.5 L’OEA et le PEA ont empêché ou inversé l’hyperperméabilité induite par les cytokines. Les chercheurs ont conclu que l’OEA et le PEA ont des rôles physiologiques endogènes, mais également des applications thérapeutiques potentielles dans des conditions d’hyperperméabilité intestinale et d’inflammation.
Le CBD (cannabidiol), un phytocannabinoïde, agit de façon assez similaire au PEA. Tous deux préviennent l’hyperperméabilité de l’intestin humain in vitro, mais aussi in vivo, ce qu’a montré une étude.6
Dans l’expérience in vitro, le PEA et le CBD ont diminué la perméabilité induite par l’inflammation (en agissant sur les PPARα et CB1 respectivement).
In vivo, chez l’homme, lors d’un essai contrôlé randomisé en double aveugle, l’effet du PEA ou du CBD a été évalué avec un test lactulose mannitol, avec une prise de 600 mg d’aspirine. Le lactulose et le mannitol sont des sucres qui ne sont normalement pas absorbés. L’aspirine a provoqué une augmentation de l’absorption du lactulose et du mannitol (les intestins sont devenus hyperperméables à cause de l’aspirine), mais cette absorption a été réduite par le PEA ou le CBD, démontrant leur capacité à inverser le processus délétère d’hyperperméabilité intestinale.
Le PEA pourrait être une aide dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin
Des modèles animaux de colite induite par du sulfate de dextran (produit inflammatoire), des biopsies coliques provenant de patients atteints de rectocolite hémorragique, ainsi que des cultures de cellules gliales entériques (cellules du système nerveux intestinal) murines et humaines, ont été utilisées pour évaluer les effets du PEA.7 Le traitement au PEA améliore tous les signes de la rectocolite hémorragique (RCH) et diminue tous les marqueurs pro-inflammatoires testés. Les chercheurs ont conclu que, de par son absence de toxicité, sa capacité à réduire l’inflammation et son action sélective du PPARα, le PEA pourrait être une molécule innovante pour élargir les stratégies pharmacologiques contre la RCH.
Une autre étude animale expérimentale a montré que le PEA atténue l’inflammation et la perméabilité intestinale et stimule la prolifération des cellules coliques (et augmente l’expression des récepteurs TRPV1 et CB 1 du côlon).8
Dans une autre expérimentation le PEA micronisé, associé à la polydatine (un précurseur du resvératrol), a été capable de diminuer la maladie inflammatoire de l’intestin induite par le DNBS (produit inflammatoire) chez la souris.9
Le PEA normalise le transit
Une étude sur les souris a montré que les endocannabinoïdes intestinaux et le canal TRPV1 étaient dérégulés dans un modèle fonctionnel de transit accéléré, présentant des aspects de syndrome du côlon irritable (induit par l’inflammation).10 Le PEA a contrecarré le transit accéléré. L’effet était médié par les récepteurs CB1, via des niveaux accrus d’anandamide et modulé par les canaux TRPV1.
Le PEA pourrait donc être intéressant pour le syndrome de l’intestin irritable, particulièrement s’il y a une dominante de diarrhée.
Les patients atteints du syndrome de l’intestin irritable avec dominante de diarrhée ont des taux plus faibles d’OEA et de PEA. En revanche, les patients atteints de syndrome de l’intestin irritable avec dominante de constipation ont des niveaux plus élevés d’OEA, ce qu’a démontré une étude.11
Il faut donc attendre des résultats différents avec l’administration de PEA, selon le sous-type de côlon irritable.
Le PEA diminue les douleurs du côlon irritable
Une étude pilote multicentrique (dans 5 centres européens) de 12 semaines, randomisée, en double aveugle, contrôlée par placebo, a évalué l’effet de l’association PEA / polytadine (200 mg / 20 mg) ou un placebo sur l’activation immunitaire de bas grade, le système endocannabinoïde et les symptômes chez les patients atteints du syndrome du côlon irritable.12
Par rapport aux témoins, les patients atteints du syndrome du côlon irritable présentaient un nombre de mastocytes muqueux plus élevé, une réduction de l’OEA et une expression accrue du récepteur CB2. Comparativement au placebo, l’association PEA / polytadine a nettement amélioré la sévérité de la douleur abdominale.
Le PEA pourrait être utile dans les troubles digestifs (dyspsie)
Quand le duodénum (première partie de l’intestin grêle) est exposé à l’acide de l’estomac, s’initie une cascade d’événements à médiation neuronale aboutissant à l’activation des mastocytes (cellules immunitaires impliquées dans les réactions allergiques) et à la surexpression des récepteurs TRPV. Ceci est observé à la fois chez les patients dyspeptiques et chez les témoins. Cette réponse est cependant amplifiée de manière significative dans la dyspepsie fonctionnelle. Ces phénomènes sont les conséquences d’une altération de la libération du PEA endogène.13 Selon les chercheurs, le PEA pourrait être considéré comme une stratégie thérapeutique intéressante pour le traitement de la dyspepsie fonctionnelle (la dyspepsie se manifeste par une impression de « mal digérer », avec des douleurs de l’estomac et des ballonnements, sans cause déterminée).
Conclusion
Le PEA, molécule naturellement présente dans l’organisme, pourrait être pris sous forme de complément alimentaire pour soulager, voire traiter, de nombreuses affections du tube digestif.
Références
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