Source : RTBF.be
Xavier Lambert
Publié le samedi 11 décembre 2021 – Mis à jour le dimanche 12 décembre 2021 à 10h12
La lettre ouverte, initiée par deux médecins du CHU Liège, n’a finalement pas été publiée mais elle a beaucoup circulé selon nos confrères de La Meuse : elle reprenait une idée qui a circulé ailleurs dans le pays, même au sein du personnel médical, donner la priorité aux personnes vaccinées dans les soins apportés.
Outre qu’elle est en porte-à-faux avec la déontologie médicale, cette proposition fait écho à une idée souvent véhiculée, jusque dans le discours du Premier ministre Alexander De Croo : avec cette quatrième vague, l’épidémie est-elle devenue « une épidémie de non vaccinés »? La réponse demande un certain nombre de nuances, selon qu’on parle de la contamination ou des cas graves mais diffère aussi selon les régions du pays :
Au niveau du risque
Pour ce qui est du « risque » d’hospitalisation, calculé sur des populations comparables (c’est-à-dire en comparant le nombre de vaccinés hospitalisés par rapport à la population totale vaccinée et idem pour les non vaccinés), même diminuée, l’efficacité vaccinale est incontestable. En Belgique, du 22 novembre au 5 décembre 2021, le risque d’hospitalisation chez les personnes entièrement immunisées de 65 ans et plus, de 18 à 64 ans et de 12 à 17 ans était réduit de 62%, 79% et 80% respectivement, par rapport aux personnes non-vaccinées du même âge.
C’est encore plus flagrant pour les admissions en soins intensifs : pour cette même période, le risque d’admission en soins intensifs chez les personnes entièrement immunisées de 65 ans et plus, de 18 à 64 ans et de 12 à 17 ans était réduit de 77%, 85% et 100% respectivement, par rapport aux personnes non-vaccinées du même âge.
Déjà moins visible, avec le temps, la réduction du risque est par contre devenue quasiment invisible contre la contamination, en tout cas pour certaines tranches d’âge, que ce soit à cause de la perte d’efficacité au fil du temps, de comportements moins prudents ou d’une combinaison des deux. Pour cette même période, le risque d’infection chez les personnes entièrement immunisées de 18 à 64 ans et de 12 à 17 ans était réduit de 9% et 59% respectivement, par rapport aux personnes non-vaccinées du même âge. Pour les personnes de 65 ans et plus la réduction du risque d’infection n’était pas détectable.
Déjà à ce stade, on peut donc dire que la responsabilité quant à la transmission semble assez également partagée entre vaccinés ou non, mais que le non-vacciné prend des risques très largement supérieurs de développer un cas grave et donc d’encombrer les hôpitaux en période aiguë.
Au niveau des chiffres absolus enregistrés
Il y a les risques et puis il y a les réalités : même avec un risque beaucoup plus faible, les vaccinés étant beaucoup plus nombreux (88% de la population adulte est désormais vaccinée), même un faible pourcentage de ce qu’on appelle « infections de percée » peut représenter, lors de périodes de grande circulation du virus, un nombre important de cas graves.
- Parmi 805 personnes admises en USI en raison du COVID-19 en Belgique, au cours de la période du 22 novembre au 5 décembre, 256 n’étaient pas vaccinées, 19 l’étaient partiellement, 441 l’étaient entièrement et le statut vaccinal n’a pas été rapporté pour 89 d’entre elles. Cela veut dire que si on omet les statuts inconnus, plus de 60% des entrées en soins intensifs concernaient des personnes vaccinées. Entrées ne veut pas dire occupation : ce pourcentage de personnes vaccinées est en effet allé croissant au fil des semaines, et il semblerait selon plusieurs études et témoignages que le séjour de patients non-vaccinés a tendance à être plus long que celui des patients vaccinés.
- Parmi les 4354 personnes ont été hospitalisées pour la Covid-19 en Belgique, 1170 n’étaient pas vaccinées, 54 l’étaient partiellement, 2 589 l’étaient entièrement (statut inconnu pour 541). Cela veut dire que si on omet les statuts inconnus, 68% des admissions concernaient des personnes vaccinées. Et dans les 32% restants de non-vaccinés admis à l’hôpital, il y a un nombre important d’enfants : si l’on examine que le statut des adultes, on atteint 73% de vaccinés ((qui représentent 88% de la population totale, rappelons-le) parmi les personnes hospitalisées.
On peut certes regretter que s’il y avait 100% de la population vaccinée, il y aurait environ 30% d’occupation en moins des soins intensifs (parmi les 40% de non-vaccinés qui se protégeraient, on aurait une réduction du risque de 80 à 90%). Mais il est aussi un fait que même avec une population entièrement vaccinée, un nombre important de patients grossiraient actuellement le rang des personnes hospitalisées.
De ce point de vue, il est donc difficile de dire qu’il s’agit uniquement d’une épidémie de non-vaccinés.
De grosses différences selon le taux de vaccination de la région
Les constatations précédentes valent pour l’ensemble de la Belgique. Elles peuvent difficilement expliquer les nombreux témoignages de soignants francophones qui regrettent que leurs unités de soins intensifs « sont remplies quasiment de non vaccinés », les rares vaccinés étant « des personnes plus âgées, avec des comorbidités ».
A l’inverse, un témoignage de médecin anversois a fait grand bruit parce qu’il déclarait qu' »ici, il n’y a que des vaccinés ». Alors, qui dit vrai ? Peut-être tout le monde. Explications sur base des dernières données que nous avons pu consulter de la répartition par statut vaccinal, tranche d’âge et régions :
- A Bruxelles, entre le 8 et le 28 novembre, on a admis en soins intensifs 21 patients vaccinés, pour 43 non vaccinés. Cela fait 68% de non-vaccinés, dont le séjour a de plus probablement été plus long.
- En Wallonie, entre le 8 et le 28 novembre, on a admis en soins intensifs 79 patients vaccinés, pour 85 non-vaccinés, dont le séjour a de plus probablement été plus long. Il y a donc bien une majorité de non-vaccinés en soins intensifs. De plus, 52 de ces 79 patients vaccinés étaient âgés de plus de 65 ans : parmi les moins de 65 ans admis, 52 n’étaient pas vaccinés, contre 27 vaccinés.
- En Flandre, la tendance est tout autre : entre le 8 et le 28 novembre, on a admis en soins intensifs 301 patients vaccinés pour 103 non-vaccinés seulement, soit 75% de vaccinés. Même parmi les moins de 65 ans, les vaccinés sont majoritaires en soins intensifs (104 entrées contre 67 pour les non-vaccinés). Mais il faut rappeler que le taux de vaccination des plus de 18 ans en Flandre est de 93% !
Ces différences de situation s’expliquent donc par plusieurs facteurs :
- un taux de vaccination beaucoup plus élevé en Flandre (93% des adultes) qu’en Wallonie (83%) ou à Bruxelles (71%) : plus il y a un nombre important de vaccinés, plus le nombre d’infections de percée peut être important, et plus il y aura de cas graves parmi les vaccinés.
- une population plus âgée en Flandre : l’efficacité vaccinale diminue avec l’âge. Et les plus vaccinés sont les plus de 65 ans, dont le taux de vaccination dépasse 95%
- un nombre de contaminations plus important en Flandre : le vaccin reste un outil pour réduire le risque, il ne l’annule pas. Cela veut dire que plus il y a de personnes contaminées, plus on retrouvera un pourcentage de personnes vaccinées qui vont développer un cas grave.
Ce qui aboutit à une conclusion finalement assez logique : là où le taux de vaccination reste plus faible, on fait face à « une épidémie de non-vaccinés« , mais là où le taux est important, cela devient bien aussi une « épidémie de vaccinés« . Une campagne réussie de boosters devrait cependant dans ce dernier cas enrayer la montée des cas graves.
Et une des caractéristiques de ces « épidémies de vaccinés » est aussi que le taux de décès par rapport au nombre de cas reste très faible par rapport à des pays moins vaccinés. Il est ainsi de 0,26% pour la semaine écoulée en Belgique contre 4,6% en Bulgarie (26% de la population vaccinée) et plus de 5% en Roumanie (40%) ou en Bosnie.
Finalement, ça semble l’épidémie de tout le monde, hélas…