Source : Le Monde – Publié le 19 mars 2021 à 12h00 – Mis à jour le 19 mars 2021 à 13h15
Le chef de l’Etat, décédé officiellement des suites de problèmes cardiaques, n’avait cessé de minimiser l’épidémie, sur laquelle le pays n’a publié aucune donnée depuis mai 2020.
« C’est le flou total. Le Covid, Magufuli avait interdit d’en parler », commente Djuma*, commerçant à Dar es-Salaam, la capitale économique de la Tanzanie, quelques heures après l’annonce à la télévision nationale, mercredi 17 mars, du décès du président John Pombe Magufuli. Officiellement, le chef de l’Etat est mort des suites de problèmes cardiaques. Mais Djuma, comme la plupart des Tanzaniens, doute de la version gouvernementale. La disparition du président depuis fin février a alimenté toutes les rumeurs sur une hospitalisation due au Covid-19, cette épidémie qu’il n’avait cessé de minimiser depuis son apparition début 2020. Rejetant tout confinement, John Magufuli était allé jusqu’à affirmer que son pays s’était « libéré » du virus par la prière.
Les yeux sont désormais braqués sur Samia Suluhu Hassan, sa vice-présidente, qui vient de lui succéder après avoir prêté serment, vendredi 19 mars. Les Tanzaniens se demandent quelle sera son approche de la pandémie. « Nous espérons qu’elle va changer de cap quant à la gestion du Covid-19, reconnaître son existence, prendre des mesures nécessaires pour protéger la population, mais surtout laisser la presse travailler librement sur la question », souhaite un journaliste local contacté par Le Monde Afrique. L’analyste politique Jenerali Ulimwengu se montre optimiste : « Elle a un caractère différent. Je crois qu’elle écoutera beaucoup plus les avis scientifiques, plutôt que de considérer ses propres opinions. »
Depuis un an, l’omerta régnait sur l’ampleur de l’épidémie en Tanzanie. Plusieurs journaux ont été sanctionnés et des journalistes suspendus pour avoir enquêté sur le Covid-19. En accusant ces médias de « propager des rumeurs », le gouvernement a plongé le pays dans un black-out informationnel. Ce pays de 56 millions d’habitants n’a publié aucune donnée sur le coronavirus depuis mai 2020. A l’époque, il faisait état de 500 cas et d’une vingtaine de décès.
« Briser les chaînes de transmission »
Mais ces derniers temps, les signaux d’alarme se multipliaient. Certains proches du président ont ainsi succombé récemment au virus. Le 17 février, Seif Sharif Hamad, vice-président de l’archipel semi-autonome de Zanzibar, est mort à 77 ans pendant qu’il recevait des soins à Dar es-Salaam. Quelques jours plus tôt, son parti, l’Alliance pour le changement et la transparence (ACT Wazalendo),annonçait qu’il avait contracté le Covid-19. Le même jour, le chef de la fonction publique, John Kijazi, décédait dans un hôpital de Dodoma, la capitale politique, sans que les autorités en communiquent les raisons.
Fin février, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait exhorté la Tanzanie à mettre en œuvre des mesures pour « briser les chaînes de transmission » de la maladie et à faire preuve de transparence sur le nombre de cas. Le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, avait alors souligné que des Tanzaniens voyageant hors du pays étaient régulièrement contrôlés positifs. Début mars, le gouvernement rétorquait que la Tanzanie n’avait aucun projet de vaccination. Pourtant, John Magufuli avait commencé à légèrement infléchir sa position, reconnaissant lors des funérailles de John Kijazi que « cette maladie respiratoire » continuait de circuler dans le pays.
Le chef de l’opposition, Tundu Lissu, s’est empressé d’affirmer que le chef de l’Etat était mort du Covid-19. « Et il n’est pas mort la nuit dernière. Selon les mêmes sources qui m’avaient informé qu’il était gravement malade, Magufuli est mort depuis mercredi de la semaine dernière », a affirmé jeudi cet opposant vivant actuellement en exil et candidat malheureux à l’élection présidentielle d’octobre 2020. La disparition de John Magufuli rappelle celle d’un autre président africain, le Burundais Pierre Nkurunziza, décédé à 55 ans, le 8 juin 2020, à cause d’un « arrêt cardiaque ». Cette version officielle a largement été remise en cause. L’ex-autocrate, qui avait prétendu que « la grâce divine » protégeait le Burundi de la pandémie, est lui aussi suspecté d’avoir été emporté par le Covid-19.