Source : CBD LE MONDE MAI 2021
Comment le CBD est devenu la coqueluche des insomniaques
Extrait du cannabis, le cannabidiol se pare de toutes les vertus apaisantes pour séduire ceux qui ont le sommeil troublé par cette période anxiogène. Mais si on peut le consommer en toute légalité, son efficacité en tant que somnifère n’est pas prouvée.
27 Mai 2021
Sa grand-mère avait l’habitude de lui préparer un verre de lait chaud pour l’aider à trouver le sommeil. Sa mère préférait les tisanes de valériane, de mélisse ou de fleur d’oranger. Manon, elle, a sa recette secrète sous forme de smoothie.
Quand elle se sent stressée, ou en proie à des pensées ruminantes, la trentenaire parisienne prépare son petit mélange maison : du lait de coco, des cerises dénoyautées, et surtout quelques gouttes d’huile de chanvre, riche en cannabidiol (CBD), une molécule extraite du cannabis. Un coup de mixeur et la voilà assurée de tomber dans les bras de Morphée. « C’est devenu un petit rituel qui me détend et qui me permet de bien dormir, soutient la jeune femme, adepte des médecines douces. Et au réveil, pas de migraines ni d’état nauséeux. »
Décryptage : Comprendre ce qu’est le cannabidiol (CBD) et le débat qui l’entoure
Manon n’est pas la seule à se laisser embarquer par la promesse bien-être de ces trois lettres, déclinée sous forme de fleurs, d’huile, ou de produits alimentaires. Relaxant et apaisant, le CBD serait efficace pour soulager l’anxiété et le stress, les règles douloureuses, et surtout les troubles du sommeil, le tout sans effet de défonce ni d’addiction.
Car, contrairement au THC (ou tétrahydrocannabinol) également présent dans la plante de cannabis, la molécule n’est ni un psychotrope ni un stupéfiant.
Eldorado commercial
Un produit séduisant donc, en cette période de crise sanitaire, facteur d’angoisse et de fatigue. Depuis le début de la pandémie, trois quarts des Français disent souffrir de troubles de sommeil. Le manque de perspective, la diminution de l’activité physique, le temps accru devant les écrans et l’isolement ont affolé bien des horloges biologiques.
Résultat : habitués des nuits courtes, des réveils nocturnes et des petits matins chagrins, angoissés de tout bord ou simple curieux se laissent tenter par les vertus soi-disant quasi miraculeuses de la molécule, vantées au fil des posts sur les réseaux sociaux et par les vendeurs des boutiques spécialisées, qui ont envahi les trottoirs comme de la mauvaise (ou bonne) herbe.
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Dans le quartier de l’Odéon à Paris, pas moins de trois enseignes dans un périmètre de quelques rues. Et le phénomène se retrouve un peu partout en France. Selon le Syndicat professionnel du chanvre créé en 2018, on en compterait au moins 500. Et au rythme de cinq à dix ouvertures par semaine, sans compter l’offre en ligne, elle aussi en plein boom, le « cannabis light » tient de l’eldorado commercial. Tout cela depuis qu’en novembre 2020, la Cour de justice européenne a jugé illégale l’interdiction en France de la vente du CBD.
« Il y a incontestablement un effet d’aubaine, reconnaît Aurélien Delecroix, président du syndicat. On a vu arriver des start-up spécialisées, mais aussi beaucoup de personnes venues du marché de la vape [cigarettes électroniques] ou en recherche de reconversion, anciens gérants de bar, restaurateurs… qui commercialisent plusieurs marques. »
Décoration végétale, couleurs naturelles et ambiance minimaliste, entre herboristerie et mini spa chic, les « CBD shop » ayant pignon sur rue reprennent toujours les mêmes codes. A l’intérieur, un alignement de jolies fioles d’huile, de sachets de tisanes aux noms évocateurs et des variétés de boutons de fleurs séchées sous cloches de verre. Tout est calme et volupté, seul les prix font grimper le rythme cardiaque : 10 euros le gramme pour la fleur, entre 30 et 150 euros selon le dosage en CBD (plus il est important, plus c’est cher) pour un flacon de 10 ml d’huile. Pas de quoi dissuader Marc, patron de PME niçois, la quarantaine inquiète et débordée, qui « rêve de pouvoir piquer du nez facilement, en évitant le comprimé chimique » et qui vient de commencer une cure, à raison de quelques gouttes chaque soir.
Un marché encore flou
« Trouver une méthode naturelle et douce » constitue la première motivation des acheteurs, confirme Camille Brocco, cofondatrice des marques Kaya et Peace and Skin, vendues sur Internet et désormais dans les corners « Bien-être » inaugurés ce mois-ci dans trois Monoprix de la région parisienne. Ses clients ? « Majoritairement des femmes, trentenaires ou quadra actives avec enfants, des urbaines qui ont déjà un réel intérêt pour le yoga, la méditation, et cherchent un moyen supplémentaire de se détendre en cas de stress. D’autres, sous anxiolytiques ou somnifères, viennent chercher des solutions alternatives. »
Sans surprise, le produit phare de la marque Kaya est la cure « Sweet dreams » (« doux rêves ») censée agir contre le stress chronique grâce à du CBD mais aussi à un mélange de plantes plus classiques (mélisse, escholtzia, aubépine, rhodiola et safran), commercialisée sous forme d’huile.
« Le conditionnement en huile, avec absorption sous la langue, est pertinent. En revanche, toutes les infusions me laissent plus perplexe… », confie Ludovic Rachou, président de l’UIVEC
« Propice au sommeil », « facilite l’endormissement », « contribue à un sommeil sain »… Soucieux de donner une image sérieuse de leur secteur, la plupart des fabricants et des distributeurs jouent sur les mots pour éviter qu’on les accuse de porter des allégations frauduleuses. Car pour l’heure, aucune étude clinique sérieuse ne permet de prouver une action directe du CBD sur le sommeil. Les avantages se trouveraient dans les effets indirects de la molécule.
« Il y a un marketing parfois très limite, reconnaît Ludovic Rachou, président de l’Union des industriels pour la valorisation des extraits de chanvre (UIVEC) qui rassemble les acteurs du secteur (producteurs, transformateurs, marques). Le CBD a des vertus relaxantes, il agit sur la capacité à se détendre, et donc par ricochet sur l’endormissement, poursuit celui qui est aussi cofondateur de la société Rainbow, une start-up qui propose des produits à base de chanvre. Par ailleurs, il n’est pas hydrosoluble, donc il a besoin d’un corps gras pour libérer ses actifs. Le conditionnement en huile, avec absorption sublinguale, c’est-à-dire sous la langue, est pertinent. En revanche, toutes les infusions qui contiennent du CBD mais aussi d’autres plantes me laissent plus perplexe… »>, ou activez JavaScript dans votre navigateur si ce n’est pas déjà le cas.
Le syndicat professionnel assure travailler pour encadrer un marché encore flou, qui s’apparente pour l’instant « au Far West ». La qualité et la traçabilité des produits ne sont pas toujours assurées, comme l’a révélé l’enquête de 60 Millions de consommateurs de janvier 2021. Quant aux consommateurs, ils ne sont pas tous convaincus. « Effet nul, assène Hortense. Après un mois à avaler des pastilles, mon cycle de sommeil est toujours aussi chaotique », déplore l’enseignante en arts plastiques de 38 ans, qui a renoué avec exercices de respiration et sport, en espérant trouver l’apaisement.
Dépendance sociale
« Au début, j’ai pensé que ça fonctionnait, peut-être parce que j’y croyais vraiment, s’amuse Béatrice, cadre dans le secteur du tourisme au chômage partiel, puis j’ai eu l’impression que ça ne me faisait plus trop d’effet, et j’ai arrêté. C’est un peu comme les compléments alimentaires, on commence et au bout d’un moment on se lasse. »
Devant cette invasion de CBD, les médecins restent prudents. Derrière le marketing du bien-être, ils pointent des risques. « Le cannabidiol n’est pas un psychotrope dans le sens où il n’a pas de pouvoir addictif, prévient Nicolas Authier, psychiatre, pharmacologue et président du comité scientifique sur le cannabis médical à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. En revanche, il a malgré tout des effets sur le cerveau, notamment sur l’anxiété, en activant un des récepteurs de la sérotonine, et peut avoir des interactions avec certains médicaments. »
L’efficacité du produit dépend de la personne, de la quantité ingérée mais aussi de sa qualité. Pour le psychiatre, l’autre danger est de « faire croire à des gens parfois en réelle souffrance que l’on va les aider en leur vendant un flacon à 90 euros ! »
Moins sévère, le psychologue clinicien spécialiste des addictions Jean-Pierre Couteron avertit sur le risque d’une dépendance sociale. « Plutôt que d’apprendre à se détendre naturellement, voire à accepter une période de mauvais sommeil, on fait appel à un produit pour trouver une solution de remplacement censée agir vite. » A ce compte-là, certains préféreront peut-être se rabattre sur une bonne vieille valériane…
Nouvelle réglementation en France pour le CBD
Les produits à base de CBD seront bel et bien autorisés en France, a indiqué, mardi 25 mai, Matignon à l’AFP. L’interdiction française de ce « cannabis light », aussi appelé « chanvre bien-être », avait été invalidée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en novembre 2020, au nom de la libre circulation des marchandises. Les juges avaient considéré que le CBD n’est pas un stupéfiant et que Paris ne pouvait pas interdire la vente de plantes et produits autorisés dans d’autres pays d’Europe.
En cours de réécriture depuis six mois, la nouvelle réglementation prévoit que « l’autorisation de culture, d’importation, d’exportation et d’utilisation industrielles et commerciales du chanvre » soit « étendue à toutes les parties de la plante », sous réserve que la teneur en THC (la molécule psychotrope du cannabis) ainsi que celle des produits finis soient inférieures à 0,2 %. Une décision qui revient à permettre aux agriculteurs français de cultiver du CBD pour la fabrication de produits dérivés et clarifie l’activité des boutiques spécialisées qui exerçaient jusqu’ici dans le flou et risquaient des poursuites judiciaires.
Elles seront ainsi autorisées à vendre divers produits – aliments, huiles, cosmétiques, e-cigarettes, etc., à base de CBD –, mais ne pourront en revanche pas commercialiser de fleurs brutes, car celles-ci contiennent des traces de THC, sont souvent fumées et mélangées à du tabac, ce qui est nocif pour la santé. Par ailleurs, en cas de contrôle policier, il faudrait les analyser pour les distinguer du cannabis stupéfiant.
Le nouvel arrêté devrait être finalisée prochainement, puis envoyé à la Commission européenne. Les Etats membres de l’Union européenne auront alors « six mois maximum » pour l’examiner avant une possible publication au Journal officiel.